dimanche 1 avril 2018

Grand jeu en Baltique

Dans la grande lutte entre le système impérial et la Russie, chacun répond désormais du tac au tac, sans faiblir, sans reculer. Le dernier épisode, très peu commenté pour l'instant, a lieu dans la Baltique, l'un des points chauds maritimes du Grand jeu où s'affrontent la volonté du Heartland eurasien de s'ouvrir les portes de l'océan-monde et, à l'inverse, la tentative américaine d'encercler et contenir l'Eurasie.

Provocations diverses et variées, intimidations, interceptions d'avions, survols spectaculaires de bateaux, manoeuvres navales conjointes sino-russes... la Baltique a déjà connu son lot de péripéties ces dernières années.
Or la nouvelle vient de tomber que des exercices russes avec tirs de missiles auront lieu du 6 au 8 avril dans les eaux internationales à proximité de la Suède. Ça, c'est nouveau. Jamais l'ours n'était allé aussi loin à l'ouest ni aussi près des frontières suédoises. L'état-major scandinave en est tout retourné et le trafic aérien civil devra d'ailleurs être modifié durant ces deux jours...
Rebondissant sur la pseudo-affaire Skrypal, nouveau jalon dans la Guerre froide 2.0, Poutine a répliqué en renvoyant dans leurs pénates le même nombre de diplomates occidentaux que leurs homologues russes expulsés. Il double maintenant la mise en organisant ces manœuvres navales aussi près que possible d'Otanlandia.
Cela participe sans doute du refus maintenant catégorique de Moscou de reculer d'un iota face à l'empire. C'est bien sûr la présentation le mois dernier, par Vladimirovitch himself, des "armes inarrêtables" réduisant à néant le bouclier anti-missile US et le discours historique qui l'a accompagnée - le Pentagone en est tout ému ("Nous sommes sans défense face aux armes hypersoniques russes et chinoises" dixit). Que le nom le plus voté par le public russe pour baptiser ces missiles - Bye bye America - n'ait finalement pas été retenu ne change rien à l'affaire...
C'est aussi, à l'ONU, le remarquable et remarqué veto du Kremlin à la résolution britannique condamnant l'Iran pour sa supposée implication au Yémen. Pour la première fois, la Russie a torpillé une tentative de l'empire concernant un conflit dans lequel elle n'est pas impliquée. Rappelons que Moscou, malgré son opposition, n'avait pas mis son veto en 2008 (admission du Kosovo à l'ONU), ni en 2011 (intervention otanesque en Libye).
La signification est double et porteuse de considérables changements dans les relations internationales futures :
  1. La Russie s'opposera désormais par principe aux tentatives hégémoniques américaines, où qu'elles sévissent.
  2. Moscou est prêt à se mouiller diplomatiquement et officiellement pour protéger ses alliés.
L'autre grand enseignement de la flambée baltique est évidemment à mettre en rapport avec le gaz, qui sous-tendait le psychodrame de Salisbury mais n'a vraisemblablement pas eu les effets escomptés
Les euronouilles ont, la main sur la couture du pantalon, parlé comme d'un seul homme pour "condamner" Moscou mais se sont bien gardés de discuter gaz et d'évoquer la moindre sanction. Et pour cause : les stocks européens d'or bleu sont quasiment vides ! Frau Milka a beau lancer l'idée de "réduire la dépendance au gaz russe" en projetant un terminal GNL, elle ne revient pas sur son acceptation du Nord Stream II, au grand dam de la MSN. Le commerce germano-russe est au beau fixe malgré les sanctions et il serait suicidaire pour Berlin de renoncer à devenir le hub gazier de l'Europe.
Il n'aura échappé à personne que l'annonce russe des exercices navals à venir intervient juste après le feu vert allemand au Nord Stream II et que ceux-ci sont prévus précisément sur le tracé du futur pipeline. Pourquoi alors Poutine souhaite-t-il ce feu d'artifice de missiles à l'endroit même où passera le tube ? Il s'agit peut-être d'un message à destination du... Danemark.
Le placide pays scandinave fait en effet face à un écrasant dilemme, sa "plus importante décision de politique étrangère depuis la Seconde Guerre Mondiale" : permettre ou non le passage du Nord Stream II par ses eaux territoriales.
Le projet doit également recevoir dans les prochains mois les autorisations finales de la Russie (c'est couru d'avance), de la Finlande et de la Suède. Mais concernant ces deux dernières, il s'agit uniquement de leur zone économique exclusive, régie par le droit international de la mer sur lequel les gouvernements suédois (très russophobe) et finlandais (plus équilibré) ont de toute façon peu de prise.
Seul le Danemark est concerné dans sa souveraineté même, et il s'en serait bien passé. Les émissaires américains et bruxellois poussent le gouvernement à empêcher le passage des 139 km du Nord Stream II par ses eaux territoriales tandis que Moscou et Berlin l'encouragent à accepter.
Copenhague peut-elle se mettre à dos son principal partenaire (Allemagne) et la principale puissance militaire européenne (Russie), qui vient d'ailleurs essayer quelques missiles à proximité ? Le système impérial réussira-t-il à manœuvrer afin de torpiller le pipeline comme ce fut le cas avec le South Stream ? Les exercices militaires russes constituent-ils un coup de pression et, si oui, fonctionnera-t-il ou n'est-ce pas une arme à double tranchant qui se retournera contre son promoteur ? Nous le saurons au prochain épisode...
1 Avril 2018 , Rédigé par Observatus geopoliticus 

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