vendredi 21 juillet 2017

La nouvelle route de la soie passera par la Syrie



Au milieu de la morosité proverbiale qui imprègne tout en Syrie, les attaques outrageantes du destin produisent souvent… eh bien ! … Bonne fortune.
Voyez ce qui est arrivé dimanche dernier à Beijing. L’Association pour les échanges sino-arabes ainsi que l’ambassade de Syrie ont organisé une exposition, la Journée de la Syrie, à laquelle sont venus des centaines de spécialistes chinois des investissements dans le domaine des infrastructures. Il s’agissait d’une sorte de mini-réunion de la Banque d’investissement pour les infrastructures en Asie (AIIB), présentée comme « le premier projet de rencontre loyale pour la reconstruction en Syrie ».
Et il y aura des suites sérieuses : d’une part une exposition pour la Reconstruction de la Syrie à la 59e Foire internationale de Damas le mois prochain, où environ 30 nations arabes et étrangères seront représentées ; d’autre part une exposition Chine-États arabes en septembre, à Yinchuan, province de Ningxia Hui.
Qin Yong, vice-président de l‘Association pour les échanges sino-arabes, a annoncé que Pékin prévoit d’investir $2 milliards dans un parc industriel en Syrie pour 150 entreprises chinoises.
Rien ne serait plus logique. Avant la tragique guerre par procuration en Syrie, les commerçants syriens étaient déjà incroyablement actifs dans les échanges de petites marchandises sur la Route de la soie entre Yiwu et le Levant. Les Chinois n’oublient pas que, dans les temps anciens, la Syrie contrôlait l’accès des marchandises par voie terrestre vers l’Europe et  l’Afrique par les deux Routes de la soie de l’époque, qui, après avoir traversé le désert par Palmyre, traçaient leur route jusqu’à Rome via la Méditerranée. Après la disparition de Palmyre, une route secondaire suivait l’Euphrate en amont et cheminait ensuite à travers Alep et Antioche.
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Pékin planifie toujours des années à l’avance. Et le gouvernement de Damas est impliqué au plus haut niveau. Ainsi, ce n’est pas par hasard que l’ambassadeur syrien en Chine Imad Moustapha a dégainé l’argument décisif : la Chine, la Russie et l’Iran auront priorité pour tous les projets d’investissements dans les infrastructures de reconstruction, lorsque la guerre sera terminée.
Les nouvelles Routes de la soie – nommées aussi une ceinture, une initiative routière (Obor) – mettront inévitablement en avant un carrefour d’échanges, avec le soutien juridique requis pour les entreprises chinoises impliquées dans l’investissement, la construction et l’activité bancaire. Soutien apporté par une commission spéciale créée par l’ambassade syrienne, l‘Association pour les échanges sino-arabes et le cabinet d’avocats Shijing basé à Beijing.
Embarquez avec moi sur ce cargo Shanghai-Lattaquié
Rappelez-vous que déjà, avant la guerre en Syrie, la Chine avait investi des dizaines de milliards de dollars dans l’industrie pétrolière et gazière du pays. Bien entendu, la priorité pour Damas, une fois que la guerre sera finie, est la reconstruction massive des infrastructures largement détruites. La Chine pourrait y participer via la banque d’investissements AIIB. Viennent ensuite les investissements dans l’agriculture, l’industrie et la connectivité : les corridors de transport dans le Levant reliant la Syrie à l’Irak et à l’Iran (deux autres plaques tournantes de la Route de la soie).
Ce qui importe avant tout est que Pékin a déjà franchi l’étape cruciale d’être directement impliqué dans le règlement définitif de la guerre syrienne – sur les plans géo politique et géo économique. Pékin a un représentant spécial pour la Syrie depuis l’an dernier – et a déjà fourni une aide humanitaire.
Inutile d’ajouter que tous ces plans dépendent de la fin de la guerre. Et voilà le hic.
Avec la disparition de Daech (ISIS), ou tout au moins sa perte imminente d’un centre urbain important, on ne sait de quelle manière le Califat fragmenté, et le Sunnistan bidon pourraient être manipulés pour isoler la Syrie de sa future nouvelle Route de la soie.
Déjà le Qatar a changé la donne ; Doha s’est rapproché de Téhéran – obligé par des intérêts communs dans le domaine gazier de South Pars / North Dome –, ainsi que de Damas, au grand désespoir de la Maison des Saoud. Ainsi, contrairement à un passé récent, le Qatar n’est plus engagé dans un changement de régime de plus. Mais il y a encore les intérêts divergents de l’Arabie saoudite, de la Turquie, d’Israël et, bien sûr, de Washington, avec lesquels il faut s’accommoder.
Un scénario possible, issu de ce que Poutine et Trump ont négocié à Hambourg – qui n’a pas été relayé, ni par Lavrov, ni par Tillerson – est que le cessez-le-feu en Syrie du sud-ouest, en supposant qu’il dure, pourrait aboutir à la mise en place d’une zone démilitarisée (DMZ) entre le Golan syrien et le reste du pays, concrétisée par la présence de forces US de maintien de la paix.
Traduisez : le Golan serait annexé, de facto, par Israël. Et la carotte pour Moscou serait l’acceptation, de facto également, de la réintégration de la Crimée dans la Fédération de Russie.
Cela peut sembler moins farfelu qu’il n’y paraît. Les prochains mois diront s’il s’agit, en effet, d’un scénario plausible.
L’autre point d’achoppement concerne Ankara et le YPG Kurde.
Contrairement au scénario de mauvais augure, mais tout à fait possible, de la balkanisation, Washington et Moscou pourraient bien décider, en tandem, de laisser les choses se décanter d’elles-mêmes. Ensuite, nous aurons inévitablement, dans un avenir prévisible, l’armée turque occupant al-Bab.
Résultat final :
- l’Arabie saoudite ne reçoit rien.
- Israël et la Turquie « gagnent » une victoire politico-militaire.
- Il est difficile d’imaginer comment Moscou pourrait éventuellement vendre cet arrangement à l’Iran comme une victoire. Pourtant, même si Téhéran ne peut pas voir réactiver totalement la libre circulation sur la route Iran – Irak – Syrie – Hezbollah,  il maintiendra des relations serrées avec Damas et sera engagé dans l’expansion de la nouvelle Route de la soie.
La question clé à partir de maintenant est de savoir si Washington suivra la politique « Syrak » de l’État profond du style « Assad doit partir », agrémentée du soutien militaire à des rebelles modérés qui n’existent pas ; ou si prévaudra la priorité donnée par Trump à l’élimination de Daech / ISIS – pour de vrai.
Beijing, de toute façon, s’est fait son opinion et travaillera sans arrêt pour que le triumvirat Iran – Irak – Syrie devienne une plaque tournante capitale de la Route de la soie. Vous voulez parier pour l’avenir en plein essor de la route des containers Shanghai – Lattaquié ?
Par Pepe Escobar – Le 14 juillet 2017 – Source CounterPunch
Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone