dimanche 16 avril 2017

Cinq raisons pour lesquelles les frappes de Donald Trump sont une erreur monumentale



Après l’assassinat du duc d’Enghien par Napoléon en mars 1804, le ministre de la police de Napoléon, Joseph Fouché, a déclaré à ce sujet : « C’est pire qu’un crime, c’est une faute. » Les missiles du Président Trump lancés sur la base aérienne de Charyat en Syrie étaient comme le meurtre du duc d’Enghien, pas seulement un crime mais une faute.

Les raisons invoquées pour lesquelles le Président Trump a ordonné le lancement des missiles varient.
Le Président Trump lui-même affirme que c’est en raison de sa révulsion face à l’horreur de l’attaque chimique contre Khan Sheikhoun, qu’il affirme – mais sans qu’aucune enquête indépendante ne l’ait confirmé – avoir été effectuée par l’armée de l’air du Président Assad.
Le secrétaire d’État américain Tillerson et le conseiller général à la sécurité nationale de Trump, H. R. McMaster, disent la même chose, mais ils disent aussi que la frappe constituait un signal de la fermeté du Président et de son refus de tolérer que ses lignes rouges soient franchies.
D’autres encore, plus cyniquement, disent qu’elles visaient à distraire l’attention du Russiagate et à assurer la position du Président à Washington.
Il y a probablement du vrai dans toutes ces allégations. Cependant, aucune d’entre elles ne change le fait que ces frappes constituaient une grossière erreur. Voilà pourquoi :
(1) Toutes les données suggèrent que les frappes étaient une simple démonstration de force et que le Président n’a pas l’intention de provoquer une escalade avec son intervention l’amenant à une campagne de changement de régime en Syrie.
Non seulement ce que Tillerson et McMaster ont déclaré lors de leur conférence de presse commune, mais les frappes elles-mêmes – les Russes et les Syriens étant informés par les États-Unis des heures avant qu’elles ne se produisent, et avec des frappes elles-mêmes limitées et menées à une échelle beaucoup plus petite que celle que le Président Obama semblait envisager en 2013 – semblent indiquer la même chose.
Cela suggère que le Président ne veut toujours pas être entrainé dans une guerre pour un changement de régime en Syrie.
Si c’est le cas, il se rendra bientôt compte qu’il s’est engagé sur une pente très dangereuse.
De même que le renvoi du général Flynn a encouragé les critiques du Président dans l’affaire du Russiagate, amenant le scandale à des proportions qui dépassaient largement son ampleur originale, l’attaque de missiles contre la base aérienne de Charyat a donné le gout du sang aux tenants de la ligne dure de changement de régime à Washington et ailleurs. Ils reviendront certainement à la charge pour obtenir davantage, et leur ayant jeté de la viande rouge une première fois, le Président est maintenant dans une position beaucoup plus faible pour leur en refuser.
En outre, indépendamment de ce qui s’est passé exactement à Khan Cheikhoun, les djihadistes en Syrie savent maintenant que tout ce qu’ils ont à faire est d’organiser une attaque chimique, et que le Président américain les obligera en lançant des missiles sur les forces du Président Assad, sans enquête et sans chercher à obtenir l’accord du Congrès ou du Conseil de sécurité de l’ONU. Cela ne fait que garantir que la mise en scène de davantage d’attaques chimiques est précisément ce que les djihadistes vont maintenant faire.
Nul besoin d’être prophète pour voir comment cette situation pourrait escalader dorénavant, même si ce n’est pas le souhait du Président, et comment il est maintenant dans une position beaucoup plus faible pour empêcher que cela se produise.
(2) Trump a commencé sa présidence en disant vouloir améliorer les relations avec la Russie. Non seulement il a causé la fureur des Russes, rendant les relations avec la Russie encore pires qu’elles ne l’étaient déjà, mais les Russes vont certainement percevoir les frappes comme un défi et répondront en conséquence. Ils parlent déjà de renforcer les défenses aériennes de la Syrie et ont fermé la ligne directe entre leurs militaires en Syrie et ceux des États-Unis.
Cela va non seulement compliquer les opérations anti-Daech des États-Unis en Syrie, mais cela augmente le risque d’une confrontation dangereuse avec les Russes en Syrie, ce qui est précisément ce que le Président et son équipe – comme en témoigne leur notification aux Russes avant les tirs de missiles – veulent évidemment éviter.
(3) Ensuite, il y a la question clé de la confiance.
En seulement une semaine, après des rapports évoquant une seule attaque, le Président a fait marche arrière, passant d’une position où il semblait accepter la réalité que le Président Assad resterait le dirigeant de la Syrie à une position où il l’attaque et où les membres de son gouvernement parlent à nouveau de l’importance de le renverser.
Non seulement les Russes concluront que ce Président est quelqu’un à qui on ne peut pas faire confiance, mais les gouvernements du monde entier – y compris plusieurs des principaux alliés européens des États-Unis – seront choqués par la facilité avec laquelle ce Président fait volte-face et fait le contraire de ce qu’il avait dit, et le fait en outre sans discussion ou consultation appropriée, et sans même prétendre observer les formes du droit international et des lois américaines.
Dans la cohérence des relations internationales, la cohérence est la qualité la plus prisée de toutes. Les gouvernements doivent être sûrs qu’une grande puissance comme les États-Unis suit des politiques cohérentes. De cette façon, d’autres gouvernements peuvent ajuster leurs propres politiques pour prendre en compte celles des États-Unis.
C’est pour cette raison, parce que le lancement de l’attaque a totalement détruit la réputation de cohérence du Président dans sa conduite de la politique, qu’avant l’attaque de missiles, je doutais qu’une telle chose se produise.
Les gouvernements du monde entier – y compris le gouvernement de la Chine, que le Président des États-Unis vient d’accueillir – savent maintenant qu’avec cette administration, les États-Unis peuvent inverser leur politique en un instant. Non seulement cela va les inquiéter, mais ils savent maintenant que quoi que dise ce Président, on ne peut pas y prêter foi car il peut s’en dédire si rapidement.
Cela va inévitablement rendre les affaires internationales plus instables, puisque les gouvernements savent maintenant qu’on ne peut pas faire pleinement confiance à ce Président, ce qui lui rendra plus difficile la négociation des accords qu’il souhaite conclure.
(4) Si le Président croyait, quand il a lancé ses missiles, que cela mettrait fin aux critiques portées contre lui et à l’obstruction de son administration par ses adversaires, il découvrira rapidement qu’il n’a rien obtenu de tel. Les adversaires du Président ont beaucoup trop investi dans le récit de « Donald Trump, le nouveau Mussolini ou Caligula » pour faire marche arrière maintenant. Je doute même qu’ils délaissent les allégations de Russiagate, si absurdes qu’elles soient.
Dans quelques jours, une fois que les applaudissements pour les frappes se seront évanouis, le Président verra rapidement qu’il est resté le même qu’il a toujours été aux yeux de ses opposants à Washington, et qu’en lançant ses frappes sans avoir préalablement consulté le Congrès, il n’a fait que leur donner un autre bâton avec lequel se faire battre. Je note que Nancy Pelosi, l’une des critiques les plus véhémentes du Président, demande déjà un débat approfondi à la Chambre pour discuter de la question de l’autorisation de l’action du Président.
(5) En revanche, si le Président n’a pas gagné ses critiques, il a sans aucun doute fâché et démoralisé la partie la plus intelligente et la plus expressive de sa propre base politique.
L’un des faits les plus intéressants quant aux événements des derniers jours est que bien que les partisans libéraux de Barack Obama ont continué à le soutenir alors même qu’il revenait entièrement sur la position anti-guerre qu’il défendait avant sa nomination, les partisans de Donald Trump prennent leur position anti-guerre et anti-interventionniste extrêmement au sérieux et ne sont pas disposés à faire des compromis sur ce point. Le résultat est que loin de défendre le Président pour ce qu’il a fait, ils se sont retournés contre lui et se sont sentis trahis.
Donald Trump lui-même le sent. Cela s’explique par le fait que depuis l’attaque de missiles, loin de prendre un ton triomphaliste, il n’a mentionné l’attaque que deux fois dans ses tweets, un tweet symbolique félicitant les militaires pour le succès de l’opération, et un tweet hautement défensif dans lequel il a essayé d’expliquer et d’écarter l’absence de dommages infligés à la piste aérienne. Sinon, sauf dans des déclarations formelles telles que sa lettre au Congrès, il a évité d’en parler.
En effet, il n’est pas impossible que le résultat de l’attaque de missiles – surtout si elle est suivie par d’autres – sera de relancer un mouvement anti-guerre moribond qui a presque disparu au cours de la présidence d’Obama. Il est aisé de voir comment les ailes droite et gauche de ce mouvement pourraient maintenant se conjuguer, comme cela s’est produit pendant la présidence de George W. Bush. Dans le cas de l’aile droite du mouvement anti-guerre parce qu’elle s’oppose véritablement aux guerres interventionnistes, et dans le cas de l’aile gauche du mouvement anti-guerre parce que certains de ses membres s’opposent sincèrement aux guerres interventionnistes, mais surtout parce qu’elle exècre un Président républicain de droite.
Il va sans dire que si une telle chose se produit, les problèmes politiques du Président se multiplieront par mille.
La première loi de la politique – aux États-Unis comme partout ailleurs – est de prendre soin de sa propre base. Tous les politiciens qui ont réussi comprennent cela. Vendredi, Donald Trump a choqué et fâché sa base, et une fois que l’éclat temporaire du lancement de missiles se dissipera (ce qui se produira rapidement), il en paiera le prix politique.
Ce que montrent les événements de la semaine dernière, c’est que presque cent jours après son inauguration, Donald Trump reste un amateur qui continue de perdre pied. Au lieu de prendre des décisions soigneusement pondérées, il prend ses décisions de manière impulsive, pressée et à la volée.
Parfois, à court terme, certaines de ces décisions l’aident. Plus souvent, elles lui causent des problèmes. Au fil du temps, en raison de la manière mal avisée et pressée dont il prend ses décisions, elles lui causeront de plus en plus de problèmes. En outre, jusqu’à présent, il ne semble pas y avoir de preuve qu’il apprenne de ses erreurs. Les frappes sur la Syrie ont été de loin la plus importante d’entre elles, mais il est fort probable que d’autres pires encore suivront.

Par Alexander Mercouris – Le 10 avril 2017 – Source The Duran