jeudi 21 août 2014

La résolution internationale de lutte contre l’EIIL : vérité ou duperie?

Ces derniers jours ont vu l’Occident camper deux positions à l’encontre de « Daech », le créateur du califat Islamique en Irak et en Syrie [EIIL] ; la première s’étant traduite par des frappes aériennes US sur le nord de l’Irak à la frontière du Kurdistan ; la seconde s’étant soldée par une résolution du Conseil de sécurité contre « Daech » et « Jabhat al-Nosra ». Certains pourraient expliquer ces prises de position par le fait que l’Occident aurait finalement décidé d’admettre la vérité et de s’attaquer sérieusement au terrorisme pratiqué par ces deux organisations. Est-ce le cas ?
La résolution internationale de lutte contre l’EIIL : vérité ou duperie?
En réponse, nous disons qu’un dossier ne se lit pas en partant de la dernière page, voire de la dernière ligne, mais qu’il nous faut lier les choses les unes aux autres, respecter le passé pour comprendre le présent et prévoir l’avenir, et ramener le secondaire à l’essentiel pour en déduire le véritable objectif.
Par conséquent, nous devons partir d’une vérité, reconnue par tous, qui se résume à dire que l’émergence de ces deux organisations terroristes est indissociable de l’Occident, de ses alliés et de ses instruments régionaux, étant donné qu’il est désormais incontestablement établi et largement documenté que la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar sont les pays qui ont parrainé, financé, et couvé ces deux organisations dans l’espoir d’abattre l’État syrien et de l’extirper en tant que citadelle médiane de l’Axe de la Résistance, en prélude à l’anéantissement de l’ensemble des chainons de cet Axe, comme le voudrait le projet américano-sioniste. Autant de vérités démasquées qui ne peuvent même plus échapper aux gens ordinaires ou à ceux qui ne souhaitent pas faire l’effort de consacrer un peu de leur temps aux questions politiques et stratégiques.
D’autre part et sur la base de preuves tangibles, il est évident que le lâchage de Daech sur la Syrie, et à partir de là sur l’Irak, est survenu :
  • en premier lieu dans un contexte que nous pouvons désigner par « la stratégie de l’ordre serré » contre l’Axe de la résistance ; ce qui nous rappelle l’opération adoptée par M. Bachir Gemayel pendant la guerre civile lorsqu’il a appelé à « l’unification de tous les fusils chrétiens », opération qui a conduit à la formation des « Forces Libanaises » et à son élection, en tant que leur commandant en chef, à la présidence de la République au cours de l’invasion israélienne du Liban en 1982 [1].
  • en second lieu dans le cadre de la mise en œuvre du nouveau plan US consistant à saigner l’Axe de la Résistance (Liban/Hezbollah, Syrie, Iran) et à couper son cordon matériel avec la Résistance palestinienne à Gaza ; un plan que Daech s’est chargé d’exécuter en Irak, en Syrie, au Liban et qu’Israël s’est chargé d’exécuter à Gaza.
C’est pourquoi, bien que certains pourraient penser que l’Occident refuse le comportement criminel de Daech et qu’il s’est effectivement décidé à le combattre autant par des frappes aériennes que par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, nous pensons qu’il serait prudent d’aller au-delà de l’arbre qui cache la forêt et, en l’occurrence, de nous méfier des pièges tendus par les Occidentaux. En effet :

Les frappes aériennes US sur l’Irak

Nous ne croyons absolument pas que les frappes aériennes sur l’Irak aient été exécutées pour la sécurité et la souveraineté de l’Irak ou, comme le prétendent certains politiciens irakiens qui cherchent à les justifier, conformément au prétendu accord stratégique du dit « Contrat sécuritaire américano-irakien ». Si tel était le cas, les États-Unis auraient frappé au moment où les autorités irakiennes ont officiellement demandé leur aide pour contrer l’avancée de L’EIIL [2] au lendemain de la mise en scène de « l’invasion daéchienne de Mossoul » [3] ou, tout au moins, quand leurs satellites ont enregistré l’exécution de 1700 personnes dans Mossoul et ses environs, ou encore lorsqu’ils ont eu confirmation des actes génocidaires et crimes contre l’humanité commis par Daech contre les Yézidis à Sinjar et contre les chrétiens ou d’autres minorités tout autour de Mossoul. Mais rien de tout cela n’a eu lieu. En revanche, Obama a clairement déclaré que « les États-Unis ont un intérêt stratégique à arrêter les avancées de l’EIIL et qu’ils ne serviraient pas de forces aériennes aux chiites irakiens ou à toute autre faction » [4].
C’est à la lumière de cette déclaration que nous devons interpréter les frappes aériennes en Irak. Nous n’irons pas jusqu’à dire que les États-Unis, qui ont créé et nourri l’organisation terroriste Al-Qaïda et ses diverses branches, se sont retournés contre leur créature en fin de parcours. Mais nous disons que c’est parce qu’ils ont vu leurs intérêts menacés par des « éléments indisciplinés » au sein de Daech, qu’ils ont lancé leur aviation pour à la fois :
  • punir les dévoyés et rappeler à Daech les limites politiques et terrestres fixées au préalable,
  • se disculper face aux accusations de nombre d’analystes et de chercheurs qui les jugent responsables du terrorisme de Daech,
  • s’assurer de l’intégrité des frontières du Kurdistan irakien qu’ils n’ont cessé d’utiliser contre notre région tel un poignard planté à mi-chemin entre indépendance inachevée vis-à-vis de l’Irak et rétablissement impossible de son lien organique avec l’État central irakien, d’où le nouveau concept d’« État quasi-indépendant » !
Ceci sans omettre la possibilité pour les États-Unis de créer un précédent sur lequel ils pourraient s’appuyer, plus tard, pour justifier une intervention militaire en Syrie sous prétexte de frapper Daech, puis laisser la situation évoluer dans le sens souhaité sans avoir à se heurter à n’importe quel obstacle d’où qu’il vienne. C’est, à notre avis, la raison de l’adoption de la Résolution du Conseil de sécurité et c’est ce que nous nous proposons de démontrer.

La résolution du Conseil de sécurité de l’ONU N° 2170 [5]

Cette résolution -dont le projet a été soumis au Conseil de sécurité par l’Occident et sous la présidence de la Grande-Bretagne- aussi importante soit-elle d’un point de vue principiel, ne remédie en rien au problème. Certes, elle condamne Daech et Al-Nosra ainsi que tous ceux qui les soutiennent, invite à les combattre, appelle à l’interdiction de leur financement direct ou indirect, de leur armement, de leur acheminement, etc., mais une étude détaillée et approfondie nous fait penser à la fable de la montagne ayant accouché d’une souris !
En effet, malgré son importance juridique, cette résolution est vide de tout processus opérationnel et de tout ce qui pourrait amener à demander des comptes aux États qui soutiennent Daech et facilitent ses opérations criminelles, alors que le monde entier est désormais au courant, tout du moins, du rôle joué par la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar hier et aujourd’hui.
À cela, il nous faut ajouter, l’irritation manifeste du président britannique de la séance du Conseil de sécurité devant les interventions des délégués de la Syrie [6] et de l’Irak, irritation interprétée comme un refus de permettre le moindre éclairage sur les lacunes de la résolution et ce qu’elle pouvait dissimuler.
C’est pourquoi et en dépit de tout ce qui a été dit à propos de cette résolution, nous pensons que son seul point positif est la reconnaissance unanime, par tous les membres du Conseil de sécurité, de la véracité des déclarations antérieures de la Syrie quant au caractère terroriste des deux organisations précitées. Ce qui implique que la Syrie subit une agression étrangère terroriste et non une révolution populaire, comme certains États membres de ce même Conseil de sécurité continuent de prétendre !
Mis à part ce constat, nous ne voyons dans cette résolution rien qui puisse donner satisfaction ou inspirer un sérieux espoir quant à la volonté de l’Occident de lutter contre le terrorisme. À ce propos, nous profitons de cette occasion pour poser quelques questions à ceux qui ont été les inspirateurs du projet de cette résolution et qui ont poussé à son adoption, donc aux États-Unis et à la Grande-Bretagne en particulier :
  1. Pourquoi Abou Bakr al-Baghdadi et ses 12 collaborateurs immédiats ne figurent-ils pas sur la liste du terrorisme international ? Pourquoi n’a-t-on pas gelé leurs avoirs ? Pourquoi n’ont-ils pas été déférés devant la Cour pénale internationale par décision du Conseil de sécurité ? Cette dernière décision aurait-elle été compromettante pour les fonctionnaires US photographiés en compagnie d’Al-Baghdadi et d’autres ?
  1. Qui fournit à Daech les cartes détaillées des territoires syrien et irakien ? Qui précise à Daech les points forts de la structure défensive à éviter et les points faibles à infiltrer dans ces deux pays ? Qui planifie les invasions de Daech en fonction de ces renseignements ? N’est-ce pas les forces qui possèdent des satellites braqués sur la région et les agences de renseignement internationales, notamment celles des États-Unis et de l’OTAN ?
  1. La Turquie, membre de l’OTAN, n’est-elle pas le seul pays à travers lequel transite le pétrole volé, en Syrie et en Irak, pour être vendu sur le marché international et notamment à l’Europe ; ce qui rapporterait à Daech trois millions de dollars par jour ? Pourquoi ne pas prendre des mesures radicales contre la Turquie pour arrêter cela ?
  1. La Turquie n’est-elle pas désormais le principal point de passage des terroristes de Daech vers la Syrie et l’Irak ? Pourquoi ne pas leur interdire ses ports et aéroports ? Pourquoi ne lui adresse-t-on pas un simple blâme ?
  1. N’est-il pas notoirement établi que le Qatar, l’Arabie saoudite et d’autres États du Golfe financent en permanence ces deux organisations terroristes qui ont justement adopté l’idéologie du wahhabisme allié aux USA ? [7].
Beaucoup de questions à poser avec à chaque fois des réponses qui indiquent que si l’Occident en général et l’Amérique en particulier avaient sérieusement voulu combattre le terrorisme de Daech et de Jabhat al-Nosra, ils auraient pu tarir les sources de leur force en quelques mois, si bien que nous n’aurions même pas besoin d’une quelconque résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. Les États-Unis et leurs alliés dans l’OTAN ainsi que les états régionaux, qui leur sont inféodés, en seraient capables à partir du moment où ils le décideraient. Mais la décision devrait venir des USA et elle ne viendra pas, car les États-Unis voit toujours dans le terrorisme, et ses bandes armées, son « armée secrète » qui lui permet d’atteindre des objectifs que son armée conventionnelle est incapable d’atteindre !
Finalement, la résolution 2170 s’explique par le fait que l’Occident, qui porte la responsabilité physique et morale des crimes de Daech et de Jabhat al-Nosra, a cherché à se disculper de son propre crime en le niant, tout en créant un précédent qui justifierait des frappes aériennes US sur le territoire syrien sous couvert de la guerre contre Daech… et c’est contre cela que nous devons prévenir !
Dr Amin Hoteit
18/08/2014
Le Docteur Amin Hoteit est libanais, analyste politique, expert en stratégie militaire, et Général de brigade à la retraite.
Source : Al-Thawra, al Wehda [Syrie]. Article traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Notes :
[1] Opération Paix en Galilée ou Invasion du Liban de 1982 : Le 6 Juin 1982, l’armée israélienne envahit le sud du Liban, officiellement dans le but de faire cesser les attaques palestiniennes de l’OLP lancées depuis le Liban…
[2] L’Irak demande aux États-Unis d’intervenir contre les djihadistes
[3] Quels sont les buts de la mise en scène de l’invasion de l’Irak par l’EIIL?
[4] Obama Vows To Continue Iraq Air Strikes ‘If Necessary’
[5] La résolution N°2170 : le conseil de sécurité adopte à l’unanimité une résolution sur l’interdiction de tout support à “l’EIIL” et au “front Nosra”
[6] Vidéo : Intervention du Dr Bachar al-Jaafari, délégué permanent de la Syrie auprès des Nations Unies, suite à l’adoption de la résolution 2170
[7] US Sponsored “Islamic Fundamentalism”: The Roots of the US-Wahhabi Alliance